TRAITÉ EUROPÉEN. Que le texte soit voté ou pas, il faut faire sauter le verrou des 3% !
Modifié le 04-10-2012 à 15h10-Par Liêm Hoang-Ngoc (Eurodéputé PS)
LE PLUS. Pour renforcer la "discipline budgétaire" de ses membres, l'Union européenne veut se doter d'un nouveau traité, le TSCG. En France, ce texte est examiné cette semaine par l'Assemblée nationale.
Jusqu'à mardi, jour du vote à l'Assemblée, "Le Nouvel Observateur" donne quotidiennement la parole à des acteurs et observateurs de ces changements. Aujourd'hui, Liêm Hoang Ngoc, député PS au Parlement européen et rapporteur socialiste du rapport Von Rompuy sur l'avenir de l'Union économique et monétaire.
F. Hollande et A. Merkel à Ludwigsburg en Allemagne, pour fêter les 50 ans d'amitié franco-allemande. Septembre 2012 (DAPD/SIPA)
La majorité des pays de la zone euro plonge désormais vers une récession qui compromet l’objectif d’un déficit public de 3% du PIB en 2013. Dès l’été 2011, j'alertais déjà que pour revenir à 3% de déficit en 2013, il fallait que l’économie croisse à un rythme supérieur à 2% par an entre 2011 et 2013. Or la mise en œuvre de plans de rigueur dans toute l’Europe et le retournement de la conjoncture américaine rendaient déjà plus qu’hypothétique cet objectif.
Le revendiquer alors n’était en aucun cas crédible. Cela ne l'est pas davantage aujourd'hui.
3% de déficit : irréalisable et sans fondement
Ce débat n'a pas été possible tout au long de l’année électorale. Pour asseoir la réputation de la France, il était nécessaire d'afficher notre attachement à l’objectif des 3% en 2013, imposé par la Commission européenne. Rappelons que le critère de 3% ne repose sur aucun fondement théorique.
Par ailleurs, alors que le déficit prévu en 2012 est de 4,6%, vouloir les 3% en 2013 revient à respecter un rythme de réduction du déficit égal à 1,6% de PIB. Ce rythme est bien supérieur à ce que demandent les nouveaux textes régissant la gouvernance économique européenne ("six pack" et "two pack"), dans lesquels une réduction de 0,5 points de PIB par an est requise, jusqu’à atteindre 3%.
Remplacer le déficit courant par le déficit structurel ?
D’éminentes voix, du président de l’Assemblée nationale au prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, s’élèvent désormais pour prévenir nos concitoyens des déconvenues qu'entraîneraient immanquablement le maintien de cet objectif. Pour sortir de l’ornière, certains proposent de remplacer le critère de déficit courant par celui de déficit structurel, comme le propose le TSCG.
Dans sa version conventionnelle, le déficit structurel est une donnée de moyen-long terme, associée à une situation de plein-emploi, et au-dessus de laquelle évolue le déficit courant lorsque la conjoncture se détériore. Le déficit courant joue alors un rôle de "stabilisateur automatique" : les dépenses qu’il finance soutiennent la reprise, celle-ci engendre les recettes fiscales permettant de revenir en fin de course au déficit de plein-emploi.
C’est pourquoi de nombreux économistes ont récemment souligné que la montée conjoncturelle des déficits en période de récession n’est aucunement inquiétante, dès lors que le déficit structurel est contenu. Raisonner en terme de déficit structurel permettrait donc de laisser jouer les "amortisseurs de crise" face à la récession.
Ceci n’est toutefois possible qu’à condition de faire sauter le verrou des 3%, qui subsiste malheureusement dans les considérants du TSCG. Par ailleurs, la persistance d’un certain déficit structurel peut traduire la permanence du volontarisme de l’État, qui demeure soutenable tant que les taux d’intérêt réels restent inférieurs au taux de croissance de l’économie.
Vouloir quasiment éliminer le déficit structurel, comme le suggère le TSCG (qui impose aux États de le limiter à 0,5% du PIB), revient à interdire toute politique "discrétionnaire" (telle que le soutien contra-cyclique à l’investissement), allant au-delà du jeu des stabilisateurs automatiques. A moins d’exclure lesdits investissements publics du calcul des déficits.
La France a les moyens de négocier
La victoire de François Hollande a fort heureusement permis de rouvrir le débat européen. Pour desserrer franchement l’étau, il faut, lors des prochains sommets, relancer le débat sur la politique budgétaire, de concert avec nos partenaires européens. La France ne manque pas d’arguments.
D’une part, elle finance son déficit à taux d’intérêt réels quasi-nuls. D’autre part, en revenant sur les choix fiscaux de la droite, la loi de finance rectificative 2012 et la loi de finance 2013 permettront à la France de réduire de plus de 2 points de PIB son déficit structurel, sans sacrifier la priorité à l’éducation et sans mettre à contribution les ménages modestes.
Le déficit structurel sera donc ramené à 0,5% du PIB dès 2013. Le déficit qui subsistera sera essentiellement conjoncturel. Si la croissance tend vers zéro, il excèdera les 3%. Vouloir s’arc-bouter sur les 3% entraverait le jeu des "stabilisateurs automatiques" et risquerait d’entretenir la récession.
Deux types de propositions pourraient être faites :
Premièrement, une renégociation simultanée du calendrier de réduction des déficits (déjà accordée à l’Espagne et au Portugal) de tous les pays de la zone euro, reportant à plus tard l’objectif des 3%, lorsque le jeu des stabilisateurs automatiques aura permis d’amorcer la reprise.
Deuxièmement, une modification des règles-mêmes de calcul du déficit structurel, pour en exclure les dépenses d’investissement, susceptibles de produire un effet bénéfique sur la croissance, et concentrer ainsi la discipline budgétaire là où elle importe vraiment : sur le budget de fonctionnement.
Instaurer un contrôle démocratique des choix économiques
En annonçant le rachat illimité des obligations d’État à 3 ans des pays qui auront recours au Mécanisme Européen de Stabilité, la BCE a pris les décisions nécessaires pour détendre les conditions de financement des États. Reste à redéfinir les modalités d’une politique budgétaire adaptée à la conjoncture, en attendant que mûrisse l’idée d’un authentique budget fédéral d’investissement.
Les chefs d’État et de gouvernement, au Conseil, doivent maintenant soulever le lièvre budgétaire, sans craindre de perdre leur "crédibilité". Pour instaurer un contrôle démocratique de ces choix économiques cruciaux, il est urgent de renforcer le pouvoir du Parlement européen, dans une souveraineté partagée avec les parlements nationaux, face à la Commission et au Conseil.
L’achèvement de l’union bancaire et budgétaire, objet de la "feuille de route" confiée à Herman Van Rompuy lors du sommet européen de juin dernier, en est l’occasion. Il n’y aura pas de saut fédéral sans saut démocratique.