Quelle Corée Kim Jong-il laisse-t-il derrière lui ?
Créé le 20-12-2011 à 12h30 par AFP et Par Céline Lussato
Sous-nutrition chronique, violations des droits de l'homme, exécutions, militarisation extrême de la société… la chape de plomb qui enferme la Corée du Nord est pourtant fissurée.
"Kim Jong-Il laissera le souvenir du plus brutal organisateur de répression massive et systématique, ce qui inclut même la volonté de laisser son peuple mourir de faim". Le directeur exécutif de Human Rights Watch, Kenneth Roth, n'y va pas par quatre chemins pour commenter la mort du dictateur nord-coréen lundi 19 décembre. Et il n'est pas le seul à s'en prendre à Kim Jong-Il et à ses violations des droits humains : gouvernants occidentaux, ONG, Assemblée générale de l'Onu... Tous dénoncent la violence du régime de Pyongyang et encouragent le successeur du défunt à tourner le dos à ces pratiques.
L'inhumanité du régime dépasse l'entendement dans un pays où tenter de franchir la frontière sans autorisation peut faire de vous un traître et vous faire condamner à l'emprisonnement et à la torture. Selon Human Rights Watch, des dizaines de milliers de Nord-Coréens sont morts dans le seul camp de kwanliso en tant qu'ennemis d'Etat. 200.000 y sont encore emprisonnés, condamnés à y travailler et à y mourir en esclavage dénonce l'ONG.
"Kim Jong-Il est responsable de la mort de centaines de milliers, peut-être de millions, de Nord-Coréens, lors des famines, dans les prisons épouvantables, les camps de travaux forcés ou lors d'exécutions publiques", souligne Kenneth Roth.
De son côté, Amnesty International a recensé six principaux camps de concentration, dont certains auraient une surface de 90 km2.
Pas de contestation possible
Dans un pays où l'armée est omniprésente – plus d'un million d'habitants sont enrôlés sur 24 millions – aucune contestation ne semble possible. Si quelques individus parviennent à réaliser de courtes vidéos dans lesquels ils décrivent les souffrances qu'ils vivent – comme ici en novembre 2010 – ce mouvement est marginal.
La situation économique et sociale est pourtant catastrophique. Depuis les famines des années 1990 qui ont fait environ un million de morts, 40% de la population reste dans un état de malnutrition très important. Le pays dépend de l'aide alimentaire mondiale. En juillet 2011, l'Union européenne a ainsi alloué une aide alimentaire d'urgence d'un montant de 10 millions d'euros à la Corée du Nord.
Pénuries de médicaments
Le système de santé n'est pas non plus des plus efficaces. Dans un pays où la santé est gratuite pour tous, rares sont les Coréens qui parviennent à se faire soigner. Certes, les hôpitaux et cliniques de Pyongyang sont d'assez haut niveau mais le pays est touché par une véritable pénurie de médicaments et de cliniques modernes dans le reste du pays. "Ils n'ont pas grand chose pour soigner les petites choses quotidiennes", témoigne Juliette Morillot, écrivain spécialiste de la Corée. "Les antibiotiques sont hors d'accès, si ce n'est au marché noir", explique-t-elle notamment.
Pourtant, de ces nombreux voyages dans le pays, Juliette Morillot a pu noter une certaine évolution.
Des signes d'ouverture
"La Corée du Nord est en train de s'ouvrir, très lentement, mais avec des progrès remarquables. Quand vous vous baladez dans les rues de Pyongyang vous pouvez trouver désormais des étalages mieux achalandés, avec pour certains des produits occidentaux payables en devises et qui visent donc les ressortissants étrangers et l'intelligentsia coréenne", décrit-elle. "Nous ne sommes bien sûr pas dans les rue de Hong-Kong mais cela n'existait pas avant. On croise également dans les rues de la capitale beaucoup de téléphones portables et des jeunes avec des écouteurs sur les oreilles. Et Kim Jong-Il a fait ces dernières années des essais d'ouverture de l'économie. Certaines zones ont été données en leasing à la Chine par exemple, ce qui rapporte des devises".
"Ce sont des signes, certes légers, mais qui existent, d'une évolution positive. Ce sont des prémisses de modification de l'économie, qui sont très petits mais qui sont visibles" affirme l'écrivain, concédant qu'il s'agit "peut-être de poudre aux yeux en vue des festivités qui étaient prévues l'année prochaine en avril pour le centenaire de la naissance de Kim Il-Sung."
Propagande et effet de masse
La Corée du Nord reste un pays totalement fermé. Seul le marché noir permet une légère ouverture sur le monde. "Il arrive qu'on me demande tel ou tel film quand je projette de venir en Corée… c'est bien qu'ils en connaissent l'existence", souligne Juliette Morillot. "Mais en même temps on vous demande encore sincèrement "pensez-vous que les Américains ont réellement fait le premier pas sur la lune, n'est-ce pas de la manipulation?"", indique l'auteur. "Il y a des intellectuels, des étudiants, mais dans un pays fermé. Ils ne connaissent rien d'autre. Ils sont victimes de la propagande et de l'effet de masse", souligne-t-elle. Une chape de plomb pèse sur les crimes contre l'humanité dont la communauté internationale réclame la fin. En vain jusqu'à présent.